Au tendre des pierres

Que tout commencement s'enchaîne obligatoirement à une fin, comme le chant de l'oiseau s'enchaîne au silence et le silence, ça, il ne le connaissait que trop bien. À la mort de sa mère qui n'avait pas supporté l'invalidité de son époux il avait observé plusieurs semaines d'un lourd silence faisant écho aux larmes muettes de son père. Et même quand il reprit la parole, études puis travail oblige, il se limita au strict nécessaire en matière de communication avec les autres. Le plus souvent, il trouvait refuge dans la musique soit avec les membres de sa confrérie avec lesquels il participait à bon nombre de manifestations folkloriques soit chez lui, seul, à côté de son père, où il pouvait à l'aide de son vieux guembri, s'offrir de purs moments de transcendance qu'un petit joint roulé avec amour venait intensifier d'une aura mystique.

Khalid Benslimane nous propose un roman prismatique, jeu d'ombres et de miroirs où une vie parrallèle s'élabore comme lorsqu'on construit un mur qui se met à vivre et à mourir. Associant style et langage cru, mélangeant extrême pureté et vulgarité, l'auteur nous propose un roman audacieux, poétique et profondément humaniste.

Extrait

Un gros crachat sur les chaussures cirées du livreur d’amuse-gueules pour bas-ventres lubriques ponctua sa phrase d’une onomatopée visqueuse, arrachant au larbin une hautaine insulte. — Saleté de clodo! La compagnie d’élite de la sixième rangée, sous l’ordre beuglant de son sergent, sortit la mitrailleuse lourde. — Rahan, bois un coup à ma santé! Ce furent les seules paroles de Belle-de-nuit. — Bon les gars on remballe... fausse alerte vociféra le sergent. L’orchestre accourant de la troisième rangée eut juste le temps d’arranger sa tenue négligée, d’accorder dans une cacophonie grinçante ses instruments, avant d’entamer dans sa tête une chanson qu’il avait souvent fredonné avec ses amis, il y a bien longtemps, il y a une éternité, au pied du grand mur blanc que nourrissaient les tranches de vie d’une époque insouciante.

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Mokhtar El Mokri